La page blanche
- Le Lun 15 nov 2010
- Dans Actualités du groupe
Elle m'attendait. Je suis allongé sur mon lit, légèrement désaxé, la tête vers la lampe de chevet. La chaleur de mon ventre sur le matelas ne se faisait pas encore sentir qu'elle était là, de toute sa prestance, elle m'attendait.
Depuis le temps que je l'ignorais, depuis tout ce temps que je passais à assombrir sa peau froide et pâle, ha ça elle en avait bouffé du code. J'alignais les lignes de code tel un xylophage dégustant son bois. Les php, css, sql, javacript étaient mes chêne, pins, acajou, peuplier. La coloration syntaxique de mon éditeur préféré la martelait même de couleurs. Mais pas ce soir.
Ce soir était son soir. Elle riait de moi, sa pâleur se reflétait sur mon visage, la lumière chaude de ma lampe de chevet n'y pouvait rien.
J'essayais de la faire taire, un mot, puis deux, puis une ligne... et puis plus rien. Je n'abandonnais pas, pas tout de suite, mais je devais me faire une raison. La page blanche était trop forte pour moi ce soir là. Et puis le lendemain, et puis les jours suivant...
Les relances de mes collègues n'y faisaient rien...
-Alors ce billet de présentation !?
-Oui c'est en cours je répondais ! J'y réfléchis !
-N'oublie pas ton mot, xylophage !
Je ne risquais pas de l'oublier, c'était le seul mot qui m'extirpait du gouffre, le seul mot qui faisait tâche dans cet océan de blanc, une aiguille dans une motte de foin.
Que dire. Que je m'appelle Jonathan ? Que j'ai 24 ans ? mouai... J'ai rejoint Awelty il y a presque 3 semaines maintenant, et j'ai pour mission de participer à la prochaine version d'e-monsite. Je ne pouvais pas commencer comme ca !
J'écrivais, j'effaçais, j'écrivais et puis, j'effaçais, pour plaisir de la page blanche qui s'adonnait à cœur joie de se refaire une beauté à chaque cycle.
Et puis un soir... ! C'était un dimanche soir je m'en rappelle comme si c'était hier, d'ailleurs c'était hier. Je m'allonge sur le ventre et j'attaque. Un mot, puis deux, puis un ligne... et puis bientôt un paragraphe. Je garde la tête froide, j'étais déjà allé aussi loin auparavant, je ne dois pas me déconcentrer. Plus j'écris, plus la chaleur de mon ventre se fait sentir. Je retourne l'oreiller qui me sert de repose-torse pour avoir le côté froid, et je continu. La lumière orangée de ma lampe de chevet s'intensifie sur ma peau au détriment de la pâleur de la page blanche. Je ne perd pas confiance, petit à petit la page blanche se meurt, ses derniers sursauts sont pour des corrections de fautes, ou des changements de mots pour leur synonyme.
Je regarde la page blanche droit dans les yeux, enfin dans les pixels, et je lui dis sereinement que c'est terminé. Elle accepte sa défaite avec fairplay, je décèle même un rictus au bord de ses lèvres, quand d'autres ne verront qu'une scroll-bar. Je referme l'écran de mon netbook et entrevoie une dernière révérence de la page blanche, une lueur suffocante, un murmure. "On se reverra..."